Après l’effort, le réconfort
Nous ne devons pas avoir peur que l’automatisation nous prenne nos emplois, mais nous en réjouir. Si l’emploi disparaît, nous pourrons nous occuper de choses plus importantes: le travail choisi et du vrai temps libre !
Les emplois ne disparaissent pas : plus de personnes sont employées qu’elles ne l’ont jamais été au cours de l’histoire. Mais la nature des emplois se modifie, et de nombreuses catégories d’emploi se délocalisent des pays riches vers les pays plus pauvres. Parmi les emplois disponibles, de plus en plus paient de moins en moins, de plus en plus sont précaires ou ne mènent nulle part, sur le plan professionnel, ceux qui les occupent.
La crise de l’emploi en Europe n’est pas liée à l’automatisation : si les progrès technologiques, dont l’automatisation, ont délocalisé certains emplois, d’autres ont également été créé. La crise est davantage la conséquence d’une transformation de l’économie mondiale.
Quand les néolibéraux ont mis la main sur l’orientation des politiques économiques et sociales, dans les années 1980, les politiques libérales ont ouvert un marché mondialisé. Presque du jour au lendemain, l’offre mondiale d’emploi a été multipliée par trois et plus d’un million de travailleurs chinois, indiens et autres sont rentrés en compétition avec les Européens et autres ressortissants des pays riches.
Au fur et à mesure que l’Europe assouplissait son marché du travail, et du même coup le rendait moins protecteur pour les nouvelles masses précaires, elle entraînait une pression à la baisse sur les salaires, les avantages salariaux des entreprises et les recettes publiques financées par le travail. Les gouvernements savaient que la libéralisation de l’économie creuserait les inégalités et aggraverait l’insécurité économique de millions d’actifs. Ils étaient face à deux voies possibles.
Ils auraient pû décider que ceux qui reçoivent un revenu du capital, issu des profits et des marchés financiers, qui sont les principaux bénéficiaires de la libéralisation, partageraient les recettes avec le reste de la société, ce qui aurait endigué l’émergence d’une plutocratie de milliardaires. Mais les gouvernements ont opté pour la signature d’un pari à la Faust avec leurs citoyens. Pour maquiller les revenu fléchissants, ils ont financé une orgie consumériste à coup de prêts à la consommation et crédits bon marché, de plans de soutien à l’emploi et de crédits d’impôts. Mais en 2008, la fête a pris fin, comme il se doit lorsque l’on signe un pacte avec le diable.
La suite de l’histoire ? La contestation sociale
Depuis , tous les pays nouvellement entrés dans l’ère de l’austérité ont effectué des coupes budgétaires à mettre votre voisin à la rue, coupant dans les salaires, les allocations et les protections sociales, chaque pays essayant d’être plus compétitif que les autres.
Pendant ce temps une grande convergence voit le jour, entre les marchés du travail des économies émergentes, où les salaires et revenus de solidarité augmentent, et les pays riches où le déclin des acquis sociaux s’accélère. Le salaire réel moyen en Europe, au japon et en Amérique du Nord ne reverra pas un niveau ne serait-ce que similaire à leur apogée. La situation de certains travailleurs va s’améliorer, mais le revenu moyen de la majorité va baisser.
Cette catégorie grandissante, le précariat, doit faire face à un avenir où les emplois ne rapporteront qu’un maigre salaire tandis que la rente du capital rapportera de plus en plus à ceux qui en possèdent. Et si les systèmes de sécurité sociale au sens large (mutuelles, avantages des comités d’entreprise, allocations d’État conditionnées au revenu), s’enfoncent dans leurs erreurs du XXième siecle, le précariat va se trouver confronté à une insécurité économique croissante. L’indignation s’étend, et des troubles sociaux vont suivres.
Il existe une alternative, cependant il faudra nous battre et admettre que la plupart d’entre nous risque de rejoindre le précariat ou de voir des proches ou des amis y tomber. Il faut refonder la protection sociale sur le principe que chacun a droit à une sécurité économique minimale, c’est-à-dire un revenu de base inconditionnel qui permette de survivre dignement. Il existe trois objections courantes à cette proposition.
Certains disent qu’on ne peut pas le financer ; c’est faux. On offre d’énormes subventions aux corporations, à la classe moyenne supérieure et à des groupes de pression, ce qui coûte bien plus cher que d’offrir à tous un revenu de base mensuel. De plus, après le crash financier, les États ont offert des milliards pour sauver les banques, permettant aux banquiers de reprendre leur mode de vie et d’activité dépensier. Ils auraient pu plutôt octroyer à leurs citoyens un revenu mensuel modeste, ce qui aurait réveillé la croissance bien plus efficacement.
L’évolution vers un revenu de base devrait également s’accompagner de la création de fonds souverains sous contrôle démocratique, comme le Alaska Permanent Fund ou le Norwegian Fund. Les économies industrialisées deviennent des économies de rente (une grande partie de leurs revenus viennent de l’étranger), il faut donc un mécanisme pour rassembler certains des revenus du capital et des multinationales qui profitent des ressources rares dont elles ont le contrôle.
Moins de travail, plus de loisirs
Certains détracteurs du revenu de base disent qu’il offrirait aux gens “quelque chose pour rien”. C’est de l’hypocrisie : les riches reçoivent quelque chose pour rien chaque fois qu’ils héritent. Beaucoup de gens ont construit leur succès, non par leurs compétences extraordinaires, mais parce que les politiques mises en place successivement ont offert des récompenses astronomiques pour certains types de compétences.
Il existe aussi une réponse éthique à cette objection, provenant des réflexions de Thomas Paine. La richesse de la société dépend bien plus des contributions apportées par nos ancêtres que de ce que nous faisons nous-mêmes, mais l’on ne peut pas dire quels sont les ancêtres qui ont contribué en quoi : mes ancêtres ou ceux de mon voisin ? En tant qu’héritiers, il serait juste que nous recevions tous une part des bénéfices de leur investissement collectif : une sorte de dividende socialisé.
Des critiques disent qu’un revenu de base favoriserait la paresse. C’est une insulte à l’Humanité : presque tout le monde veut s’améliorer et ne se contenterait pas d’un revenu de base, et s’il y avait quelques oisifs, cela ne ferait rien. En effet cela coûterait plus de les identifier et de les forcer à travailler que de les laisser vivre.
Des psychologues ont montré que ceux et celles qui jouissent d’une sécurité de base sont plus altruistes, plus tolérants et plus productifs.
Un revenu de base nous permettrait de voir venir, ce que nous ne pouvons faire aujourd’hui. Il nous permettrait de donner plus d’importance et de respect au travail reproductif, qui pâtit aujourd’hui de la recherche d’emplois rémunérés. Aristote arguait que pour être civilisés, nous avons besoin d’aergia, de paresse, pour réfléchir, délibérer et prendre part à la vie politique. Nous avons également besoin de plus de temps pour nous occuper des autres, de notre communauté et de notre environnement.
Donc en deux mots : moins de travail, plus d’activité choisie et plus de vrai temps libre ! Le revenu de base permettrait d’accomplir ces objectifs.
Guy Standing
>>> Tribune de Guy Standing publiée en anglais sur The European Magazine.
>>> Crédit images: liber(the poet) ; yXeLLe ~@rtBrut~
>>> Traduction de l’anglais par Noélie Buisson-Descombes
>>> Source sur : http://revenudebase.info/2013/09/moins-de-travail-plus-de-temps-libre/