Monter des parties de la population les unes contre les autres a toujours été une technique politicienne fort usitée. Par l’extrême droite en particulier. Surtout par l’extrême droite. Depuis le référendum sur le traité constitutionnel de l’UE en 2005, jusqu’à la campagne présidentielle de 2007, les partis politiques et leurs représentants tentaient surtout de se faire élire en s’opposant sur deux terrains idéologiques bien définis : le libéralisme économique et « le moins d’État » accolé à un conservatisme des mœurs d’un côté, et la transformation de la société par une plus grande redistribution des richesses soutenue par un État providence assumé de l’autre.

Droite et gauche pouvaient ainsi facilement s’opposer sur des sujets tels que : le temps de travail, la sécurité, les services publics, le chômage, l’immigration ou encore la construction européenne. L’extrême droite, elle, venait juste rageusement expliquer que tous les débats de fond et leurs solutions politiques étaient sans issues puisque le cœur du problème n’était pas traité, selon eux : l’immigration. Chacun pouvait alors tranquillement s’écharper de manière établie et conforme à trois visions de la société : racisme et préférence nationale pour l’extrême droite, baisse des impôts, privatisations et performance individuelles pour la droite, renforcement des protections sociales, État providence et amélioration de la répartition des richesses pour la gauche.

Dans ce monde là, l’électeur choisissait en connaissance de cause une « voie » politique avec laquelle il adhérait. Mais depuis un peu plus de 10 ans, ce système de classement à tiroirs a lentement mais sûrement explosé. Jusqu’à créer une bouillie politique informe, incompréhensible, aux lignes tellement floues et en croisement permanent qu’il n’est quasiment plus possible pour l’électeur de s’y retrouver.

Le traité puis Sarkozy et son « ouverture »

Le débat et le vote de 2005 ont été un événement majeur pour expliquer le début de la fragmentation de l’espace politique français. Il a mené à la crise actuelle des repères et l’irresponsabilité caractérisée qui la définit. En 2005, un certain François Hollande se tient derrière un pupitre sur un plateau de télé juste à côté d’un certain Nicolas Sarkozy et défend avec un ténacité remarquable les idées de ce dernier. Un socialiste (de gauche) — secrétaire général du parti éponyme qui plus est — s’accorde pleinement avec l’étoile montante de la droite UMP, ministre de l’intérieur d’un certain Jacques Chirac, sur la signature d’un traité qui gravera dans le marbre une Union européenne anti-sociale, néolibérale, et technocratique.

Si la gauche socialiste plébiscite la même orientation économique et sociale pour l’Europe que l’UMP, comment va-t-il être possible de distinguer les deux camps ? Très difficilement. Au point que 2 ans plus tard, une fois Sarkozy élu, sa « politique d’ouverture » va lui permettre de commencer à souligner cette confusion. Accueillir des socialistes ou assimilés dans son gouvernement, et les voir se précipiter pour appliquer sa politique d’hyper-président réactionnaire (et ordolibérale) inaugure une nouvelle ère qui modifie grandement l’échiquier politique français.

Mais c’est à ce moment là, aussi, que la politique de clivage des populations et de confusions électorales se met en place : la France qui, se lève tôt, les racailles, l’identité nationale, travailler plus pour gagner plus, sont autant de moyens pour Sarkozy de déclarer qu’il existerait plusieurs « France ». D’entamer la guerre du tous contre tous. C’est un moyen de gagner une partie des voix du Front national, mais il s’agit aussi de diviser pour mieux régner. En face, chez les « progressistes » auto-proclamés, même si l’on hurle un peu au loup, la stupéfaction l’emporte sur la capacité à s’opposer. Certains socialistes commencent même à se positionner sur une nouvelle ligne du tout sécuritaire, doublée d’un libéralisme social assumé. Une sorte de sarkozisme « de gauche ». Manuel Valls écrit d’ailleurs un bouquin, et commence son travail de droitisation sociale et économique du PS. Visiblement, la méthode Sarkozy semble payante, alors pourquoi ne pas l’essayer au PS ?

2012 : l’irresponsabilité c’est maintenant !

5 ans d’idéologie de « droite forte », soufflée par Patrick Buisson, laissent des marques politiques, même si l’ouverture à gauche était censée jouer la carte de l’apaisement. Le sarkozisme, dans son volet social et sécuritaire se révèle être une copie politique des programmes du Front national. Il est à peine délimité, pour étouffer les accusations de plagiat ou de limites à ne pas franchir. Pour le reste, c’est la continuation des politiques libérales débutées par Thatcher et Reagan, plus de 25 ans auparavant.

Finalement, la présidentielle propulse François Hollande à l’Elysée, qu’on imagine stupéfait de sa propre victoire. Marine Le Pen fait un score de 18%, quand Hollande est à 28% et Sarkozy à 25%. Le Front national est toujours là, mais pas plus haut qu’en 2002. L’alternance a joué, et normalement, après cet essai du président pro-austérité et pro-europe libérale, tendance sociale d’extrême-droite, qui a augmenté la dette du pays de 600 milliards, il ne devrait pas être très compliqué pour un président socialiste de prendre tout cela à contrepied. Surtout que ce président du changement s’est opposé de toutes ses forces, petits poings levés durant la campagne électorale. Contre l’austérité, contre le traité européen de convergence, contre la finance, cet adversaire sans visage, contre toute la dérive autoritaire de Sarkozy. Hollande va changer les choses. « Le changement c’est maintenant ! » : on peut le lire partout sur ses affiches de campagne.

Et c’est là l’origine, ces 5 années de Hollande, que les 22% du premier tour de Marine Le Pen en 2017 vont se créer. Et les presque 34% de dimanche. Étranglement des classes moyennes avec des hausses d’impôts démesurées pour faire baisser le déficit budgétaire, cadeaux fiscaux aux entreprises de 40 milliards par an, fausse loi sur la séparation bancaire qui en réalité valide la capacité spéculative de ces dernières, attentisme social, aucune hausse du SMIC, application stricte des directives de Bruxelles, le tout dans une communication élyséenne digne d’une téléréalité, avec scandales sexuels et déplacements sur place à chaque fait divers. La marque de Sarkozy est restée gravée sur le front de Hollande qui reproduit, tel un élève, les agitations du maître. La dignité de la fonction n’existe plus et le mensonge prévaut sur la parole engagée.

Le couronnement de la politique ordolibérale de Hollande va survenir avec la nomination de Manuel Valls comme chef du gouvernement et de Bernard Cazeneuve à l’Intérieur : de la gauche revendiquée il n’y a plus que le mot, vidé de sa substance. Loi de programmation militaire, Loi renseignement, État d’urgence, projet sur la déchéance de nationalité, Hollande joue sur tous les tableaux. Il enfile tous les masques et se ridiculise jusqu’à devenir une figure politique honnie : 11% de bonnes opinions, le roi est nu. L’irresponsable « petit chef de l’État » finit par laisser un recueil de confidences être publié. Le mépris et la duplicité qui l’habitent transpirent au fil des pages. Il n’hésite pas à se vanter d’avoir commandité des assassinats d’État. Un cauchemar. « L’irresponsabilité c’est maintenant ! » pourrait être l’épitaphe du deuxième président socialiste de la Vème République.

Macron, Le Pen : le crépuscule de la République

Les deux candidats qui se sont affrontés pour la place en finale sont du même acabit. L’une est spécialiste de la division et de l’ostracisme, l’autre est un spécialiste de la communication et de la langue de bois qui méprise tout ce qui ne le soutient pas directement. Ni gauche ni droite chez Macron, et de droite et de gauche chez Le Pen, qui a entièrement assimilé une partie des programmes économiques de Mélenchon, tout en souhaitant rétablir l’autorité morale d’une droite conservatrice que l’on croyait oubliée (jusqu’à que Fillon ne tente de la ressusciter), et bien entendu soutenue par un nationalisme raciste qui balaye tout.

L’une vocifère contre les 10 ans de politique « UMPS » à la solde de Bruxelles, un message que de nombreux électeurs entendent très bien, et l’autre tente de faire croire qu’il incarne le renouveau, tout en ayant passé le dernier quinquennat auprès de Hollande. L’une veut plus d’État social tout en promettant une société ségrégationniste, raciste, autoritaire et repliée sur elle-même, l’autre appelle de ses voeux plus de libéralisme et moins d’État, dans une « Europe protectrice » accolée à une « mondialisation heureuse ». La confusion est totale, les repères sont explosés. Au point que plus personne ne semble savoir qui représente quelle idée, ou plutôt qui ne représente plus ce qui était autrefois consacré dans les urnes. Il n’y a plus de gauche, plus de droite, plus rien de connu, juste deux ego vociférant, se jetant l’opprobre, prêt à tout faire ou dire pour l’emporter.

Emmanuel Macron est le produit de la finance internationale détestée, des politiques européennes les plus anti-sociales, de l’ordolibéralisme de Hollande le plus socialement destructeur, quand Marine Le Pen est l’expression politique nationaliste, xénophobe et néo-fasciste la plus exécrable et anti-humaniste qui soit.

Ces candidats sont irresponsables. Tout comme les partis qui les soutiennent ou ceux qui ont exercé le pouvoir depuis plus d’une décennie. L’état de déliquescence politique qui règne dans le pays n’est pas dû à une quelconque et soudaine inconscience électorale, ou une lâcheté de la part de ceux qui n’ont pas voulu cautionner cette comédie du deuxième tour. Non, l’état politique, moral, électoral du pays est avant tout le produit de 5 années d’UMP et de Sarkozy auxquelles s’ajoutent 5 années de PS et de Hollande.

Normalement, quand on est élu et qu’on gouverne, on assume ses responsabilités. Malheureusement, ce n’est pas le cas. L’échec est déjà acté avec cette élection basée sur la peur et les menaces. Et ce n’est certainement pas avec la peur qu’on change une société, encore moins avec des menaces. Emmanuel Macron a été élu président grâce à ces phénomènes, et l’on peut se demander s’il va s’en souvenir. Quant aux électeurs, une fois utilisés, en général, ils sont oubliés. Il ne leur reste donc aujourd’hui qu’une dernière carte à jouer : les législatives. Après, viendra le temps des ordonnances (si majorité d’En Marche ! il y a) et le slogan « l’irresponsablité, c’est maintenant ! » pourrait bien redevenir à la mode. Et rebelote. Et dix de der.


SOURCE @ https://reflets.info/de-la-responsabilite-en-politique/