bando-jeunesse

L’air est électrique, y a comme une odeur de sueur, d’anxiété, et quand tu tires la langue, un arrière-goût un peu aigre, salement rouillé. Quelque chose rancit dans le frigo de la république et toi, impuissant, tu regardes défiler ton flux d’abonnements sur Twitter : à chaque nouveau tweet, un coup de marteau, le glas qui sonne un coup, deux, trois…

Vous ne trouvez pas ça spectaculaire, ces derniers temps ? J’ai l’impression que les coups politiques s’enchaînent, que les lois liberticides s’entassent les unes sur les autres, que la liberté met le pied dans la porte qu’on essaie de fermer mais que ça pousse bien dur de l’autre côté, un coup les lobbys, un coup les politiciens inaptes, parfois ineptes, d’autres fois l’économie, la crise, la conjoncture, tout ce que tu veux pourvu que ça te fournisse une raison de donner des coups dans le gras. J’en arrive à un stade où je regarde défiler les nouvelles d’un air éberlué — furieuse envie de refermer l’écran du laptop et de filer au vert. Faut dire qu’entre ce qu’ils font et qu’on n’a pas envie qu’ils fassent, et ce qu’ils ne font pas et qu’on voudrait qu’ils fassent, on a de quoi se tenir occupés, pas vrai ?

Et là, soudain, au chœur du bruit de casseroles sauce 49.3 ou procédure d’urgence qui gronde en permanence, je réalise un truc. C’est peut-être pas anodin que tout arrive ou que tout semble arriver d’un coup : c’est une guerre éclair. Le bateau sent la tempête arriver, alors il met toutes ses forces dans la bataille, il ordonne aux rameurs de souquer ferme, de ne pas plier face à l’océan, parce qu’on en est là, face à une armada qui refuse de changer de cap. Et l’idée, peut-être piochée dans un vieil ouvrage de stratégie militaire, c’est de concentrer l’attaque pour épuiser l’adversaire.

Rappel utile : l’adversaire c’est toi, moi, nous tous.

Je me vois face à mon écran comme si j’essayais de protéger un château de sable de la marée montante : l’eau afflue de tous les côtés et je ne sais plus où donner de la tête, à droite, à gauche, au milieu, et hop, ça revient par derrière, par là où tu ne t’y attendais pas… Le but est clair : te fatiguer le plus possible, t’éreinter. Que les causes de dégoût soient si nombreuses que les compter ne sert plus à rien : elles se noient dans la masse, elles ne font qu’ajouter à ta nausée générale. Facile de lutter quand tu te bats contre une seule idée, contre un seul projet de loi, contre une seule inégalité, une seule injustice ; mais si brusquement leur nombre flambe, tu te retrouves démuni, comme s’il fallait te dédoubler, te décupler pour que ça ait du sens de se battre. Mais tu es tout seul et la plupart des gens s’en fichent bien, de leurs libertés individuelles, de leur vie privée, de la surveillance généralisée… d’où la tentation de baisser les bras.

Je ne sais pas, c’est peut-être encore une idée à la con, une théorie du complot perso… mais j’ai l’impression que vouloir aller vite dans des réformes aussi importantes, c’est une manière de noyer l’indignation, de la diluer dans un océan de dégoût tellement vaste qu’on finit par ne plus vraiment sentir son odeur, habitués que nous sommes. Je vois bien Valls suggérer à Hollande : “Allons vite, leur colère glissera d’un sujet à l’autre et l’oubli gagnera”, je ne sais pas pourquoi, je me dis qu’il est assez fin stratège pour envisager cette manière de gouverner.

Et puis cette phrase qui passe dans mon flux Twitter, tirée d’un article du New York Times qui traite justement des politiciens, de leur inconséquence et de leurs excès.

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« Pour qu’un changement conséquent ait lieu, il faut que les électeurs atteignent un certain point de révulsion. Hé, les gars, ce moment est arrivé. »

On n’en est pas loin, en effet…

>>> Source @ http://page42.org/lois-hors-la-loi-la-strategie-du-degout/