Les grands principes d’une bonne Constitution,
qui prouveraient la guérison de notre démocratie

Le référendum sur le Traité établissant une Constitution pour l’Europe (TCE) et le débat qu’il a suscité ont servi de révélateur pour un grand nombre de citoyens qui ne s’occupaient pas de politique jusque-là : révélateur d’une faiblesse inquiétante de la démocratie dans laquelle nous vivons. En Europe, mais aussi en France, aucun organe important n’est soumis à un contrôle efficace et on vérifie tous les jours que les élections ne sont pas du tout un contre-pouvoir satisfaisant.

À l’occasion de cette réflexion institutionnelle sur l’Europe, il est apparu que nos représentants se sont progressivement, depuis longtemps, affranchis de tout contrôle sérieux.

Ainsi nos institutions semblent n’avoir que l’apparence de la démocratie, une supercherie, et les citoyens découvrent qu’ils sont, de fait, exclus de la prise de décision et du débat qui précède les décisions :quand on recherche les moyens que nous avons de résister à une mauvaise décision, on s’aperçoit qu’il n’en reste pas. Entre deux élections, il ne nous reste que la rue pour résister, ce qui n’est pas une institution et ce qui montre bien le peu d’importance que les rédacteurs de nos constitutions, en Europe et en France, donnent à la volonté populaire, deux cents ans après la Révolution française.

De fait, la souveraineté du peuple a été dévoyée par la souveraineté des élus, qui constitue donc une aristocratie[1], au mauvais sens du terme (celui de voleurs de pouvoir). Chaque fois qu’on parle de donner un pouvoir réel au peuple, chaque fois qu’on demande que soient institués un moyen d’expression directe et un processus de décision autonome pour les citoyens eux-mêmes dans les cas qu’ils considèrent graves (un peu de démocratie participative, directe), les voleurs de pouvoir et leurs complices brandissent le mot « populiste«  chargé d’un mépris assez révélateur de la crainte (inavouable) d’une authentique démocratie.[2]

Plus on lit sur ce sujet, plus on s’aperçoit qu’il est illusoire d’attendre de nos représentants qu’ils rendent spontanément un pouvoir réel aux citoyens. Finalement, les représentants du peuple ont littéralement confisqué le pouvoir du peuple et lui dénient le droit de s’exprimer directement, de décider lui-même de son sort, surtout sur les points où l’enjeu est important : choix nucléaires, lutte contre la pollution et protection contre les produits dangereux, fraude fiscale et paradis fiscaux, taxe sur les mouvements de capitaux pour éradiquer la pauvreté, financement des retraites et mécanismes de protection sociale, révision des institutions, contrôle public de la création monétaire, type de mandat des élus et mise en œuvre à tout moment de leur responsabilité politique, choix des services publics, etc.

Dans ce contexte où les pouvoirs institutionnels sont comme verrouillés, seul le peuple lui-même peut exiger que son pouvoir réapparaisse dans les institutions. Sans atteindre l’intensité dramatique d’une révolution, la réforme qui s’impose a quand même un petit côté insurrectionnel qu’on aura du mal à éviter, tant les arapèdes cratocrates s’accrochent à leur pouvoir.

Les Athéniens, il y a 2 500 ans, avaient déjà repéré ce vice majeur lié au suffrage universel : on sait depuis longtemps que les élections nous conduisent immanquablement à élire nous-mêmes des tyrans et à cristalliser des castes politiciennes qui confisquent progressivement tous les pouvoirs. Les Athéniens avaient réglé le problème en appliquant rigoureusement le principe d’égalité qu’ils plaçaient, eux,avant le principe de liberté, considérant très justement que l’une entraîne l’autre mais pas l’inverse : pendant un siècle, ils ont désigné leurs porte-parole par tirage au sort, imposant ainsi l’indispensablerotation des charges, dans une ambiance de débat général et permanent. Un siècle, c’est long ; ce n’est donc pas une utopie, ça fonctionne bien, chaque problème ayant des solutions[3].

Sans aller jusqu’à généraliser le tirage au sort (encore que… il faudra que nous en reparlions), il faut au moins corriger notre système électif : instituer une véritable responsabilité des représentants, imposer un renouvellement fréquent des hommes politiques pour éviter absolument la professionnalisation et rendre possibles des initiatives citoyennes décisionnelles.

Malgré la pression médiatique tendancieuse qui a faussé le débat en France, une majorité de citoyens a dit « non ».  Ce vote interrompt un processus dangereux, en refusant une caution populaire à des institutions antidémocratiques, mais momentanément seulement : en réaction à cette protestation populaire, les exécutifs vont certainement continuer à s’autonomiser, continuer à imposer des institutions par voie de traités, sans plus jamais nous demander notre avis. C’est sur cet arrière plan de viol politique[4] par nos propres représentants que nous devrons favoriser, susciter, alimenter une réflexion alternative, une proposition citoyenne pour des institutions vraiment démocratiques où tous ceux qui se sentent concernés par la Cité puissent jouer un vrai rôle.

Pour l’Europe et pour la France, je réfléchis donc à une Constitution écrite par les citoyens, débattue par les citoyens, approuvée par les citoyens, et révisée par les citoyens ; une Constitution qui consacrerait le référendum d’initiative populaire comme une référence supérieure dans l’action politique. Cette Constitution serait, pour les citoyens, la garantie de garder le contrôle de leurs représentants, sur tous les sujets.

Ce document tente de lister les grands principes universels que devrait respecter toute Constitution pour garantir une vraie démocratie, c’est-à-dire un régime capable de protéger les humains contre tous les abus de pouvoir, politiques et économiques.

Pour obtenir un large consensus, cette liste devrait écarter les principes trop polémiques, pour ne garder que les principes les plus indéniables, les plus évidents, les plus consensuels, ceux que tous les peuples du monde, les Polonais, les Portugais, les Français, les Italiens, les Allemands, les Anglais, etc., de gauche comme de droite, pourraient cautionner, valider, reconnaître comme suffisammentrespectueux de la volonté populaire.

Utopie ? Peut-être. Et alors ? Ce sont les utopies qui font avancer les hommes. De toutes façons, le progrès ne découle certainement pas de la résignation. Et puis cette idée n’est peut-être pas si utopique que certains voudraient commodément le faire croire.

L’Internet rend possible ce qui était impossible hier : communiquer entre nous sans passer forcément par les médias traditionnels que nous avons imprudemment abandonnés au marché où ils sont achetés et vendus comme des marchandises, et livrés à des propriétaires capables désormais de manipuler l’information dominante et de brider la liberté d’expression.

Ce ne sera pourtant pas simple car les journalistes sont un rouage fondamental dans la Cité : selon qu’ils sont libres ou pas, la démocratie est possible ou pas.

Comme le texte précédent (« Une mauvaise Constitution… »), ce nouveau texte va progresser grâce à vous et au débat que nous saurons entretenir pour nous enrichir et nous tempérer mutuellement. Je fais tout ce que je peux (je manque de temps). Vos objections sont précieuses pour progresser. Je daterai chaque version de ce document, au fur et à mesure que j’y intégrerai vos idées, et je relaterai dans lesparties interactives du site les principaux aspects de nos échanges : le forum nous permet de débattre sur chaque grand principe ; le wiki nous permet d’écrire ensemble de vrais articles de constitution ; le blog permet d’échanger sur des sujets non institutionnels (économiques, philosophiques, actualité…). Des liens permettront de consulter le forum et le wiki sur chaque grand principe.

N’hésitez pas à m’écrire, ne serait-ce qu’un simple petit mot : je progresse grâce à vos encouragements, mais aussi vos critiques, vos craintes, vos idées… Je ne vous promets pas de vous répondre tout de suite car vous êtes nombreux, mais je vous lirai toujours attentivement.

Après quelques mois de débat, nous pourrions voter[5] sur les points les plus importants, pour nous compter.

Si ce texte vous semble utile, faites circuler de préférence un lien vers ce site (voir l’adresse en pied de page) plutôt que le document lui-même, de façon à ce que vos amis disposent toujours de la version la plus élaborée en date.

Vous pouvez utiliser librement tout ou partie de ce texte : les idées appartiennent à ceux qui s’en emparent.

À Trets (c’est en Provence, près de Marseille, prononcer le t et le s :o),
le 8 octobre 2007.
(Première version datant du 9 octobre 2005, liste des MAJ à la fin.)
Étienne Chouard (etienne.chouard@free.fr)

Celui qui voit un problème et qui ne fait rien, fait partie du problème.

 

>>> Source & + d’infos @ http://etienne.chouard.free.fr/Europe/Bonne_Constitution_Guerison_Democratie.htm