Le travail salarié a-t-il encore du sens ?
[Le texte ci-dessous est l’oeuvre de Jean Dornac initialement publié sur le blog Etat Critique et reproduit ici avec son aimable autorisation. Il fait grandement écho à ma vision du monde du travail. Non qu’être à son compte soit une solution magique au problème qu’il décrit, mais c’est peut-être un début de piste]
Lorsqu’un peuple est saigné comme l’est le peuple grec, il faut se poser nombre de questions, dont celui du travail salarié.
Cela fait des années que je me pose la question du sens de ce fameux « travail salarié ». Pour être passé par là, de trop nombreuses décennies, je ne sais que trop bien qu’il s’agit d’un bien méchant attrape-nigaud. Seulement, voilà, la société est organisée ainsi depuis un peu moins de deux siècles, depuis que nos lointains parents quittèrent leurs champs aux récoltes aléatoires selon les bons vouloirs d’un ciel et d’une météo rarement favorables…
Travailler pour un autre contre un salaire n’est pas, en soi, choquant. Mais travailler pour un véritable capitaliste, totalement pris dans son idéologie et ses intérêts personnels, peut s’avérer rapidement dramatique. On y perd sa liberté et son âme.
Sa liberté ? Ce n’est pas nous qui choisissons nos horaires. Sauf par un refus, nous n’avons pas non plus de pouvoir de décision sur la hauteur de notre salaire. Souvent même, nous n’avons pas non plus le choix du poste à occuper… On le voit très nettement, aujourd’hui, avec un nombre important de jeunes sortis de diverses écoles, souvent prestigieuses, et employés à n’importe quoi… Le nombre d’heures travaillées, le nombre de jours de vacances et même la hauteur du salaire, d’autres en décident, entre les patrons et les députés, donc, le pouvoir. Notre seule liberté consiste à quitter l’entreprise dans l’espoir de trouver mieux. Ce fut vrai à l’époque où je commençais ma vie en entreprise. Nous pouvions partir et revenir à notre gré, ce qui était fort déplaisant pour ceux qui nous embauchaient. Les temps ont bien changé, ils sont devenus cruels pour le monde salarié à qui l’ont fait comprendre, aujourd’hui, que si ça ne lui plaît pas, il peut prendre la porte, pour être rapidement remplacé par les chômeurs qui ne demandent pas mieux…
Son âme ? Oui, dans la mesure où l’humain ne grandit essentiellement que par sa capacité et son droit de créer. Combien de postes de travail, en cette époque, offrent une possible créativité ? Ils sont rares, très rares. Heureux ceux qui en possèdent un, malheur aux autres qui, le plus souvent, sont condamnés à des travaux répétitifs, sans goût, sans saveur d’où toute passion est exclue. Seules compte aux yeux de l’employeur la production, la rentabilité. Ayez le malheur d’avoir une mauvaise santé et vous découvrirez quelle réelle valeur vous avez aux yeux de celui qui vous paie : Rien ! La mauvaise santé est payée au même prix que la malhonnêteté, c’est-à-dire, la porte, le chômage comme ligne d’horizon, la perte d’estime de soi, les regards interrogateurs de vos proches et, trop souvent, au bout d’un certain temps, leurs doutes pesants et humiliants sur votre « volonté » de chercher du travail. On y perd son âme, je le sais, je suis passé par cette porte étroite au goût horriblement amer…
Le piège
Nul n’est obligé, comme moi, de penser que le travail salarié est et reste un piège hérité des circonstances et de la voracité des possédants de capitaux. Cependant, après une carrière de 30 ans, sans problèmes majeurs, puis de chômage et petits boulots, ce qui fut mon cas, si notre esprit est resté un tant soi peu agile et lucide, nous nous rendons bien compte que nous avons participé à un jeu de dupes. Certes, nous recevons un salaire, de plus en plus petit ces dernières années, mais qu’en faisons-nous ? Passées les dépenses obligées et incontournables, nombreux sont ceux qui, obnubilés par d’alléchantes publicités, se précipitent dans un nouveau piège, mortel, celui de la consommation sans limite. Ceux-là, et ils sont foule, ne comprennent pas qu’après avoir été exploités par le patronat dans leur travail, ils le sont une deuxième fois en devenant esclaves d’une consommation sans fin organisée par et pour ce même monde des entreprises. Ce qui, aux yeux d’un certain Nicolas Sarkozy, justifiait son célèbre et lamentable slogan de « travailler plus pour gagner plus » et donc, sous entendu, pour « consommer et dépenser plus ». Là, nous étions en pleine folie dont le seul véritable bénéficiaire ne pouvait qu’être le monde des entreprise et de ses alliés, pas toujours commodes, le monde de la finance et des banques. Et, pour beaucoup, le piège se referme définitivement par les dettes accumulées. S’en suit l’interdit bancaire, opération des plus profitables pour les banques, une pauvreté accélérée et, parfois, le divorce, la fin de la famille puis la rue…
Le serpent se mord la queue
Certains analystes prédisent la fin du capitalisme, tout au moins dans sa forme actuelle, la plus hideuse, le libéralisme mondialisé. Je n’ai pas les capacités de ces analystes, mais je ne peux m’empêcher de penser comme eux.
On le voit, très clairement, en Grèce, pays maltraité, pays pillé par les assoiffés du capital, petits et grands. Ce pays est exsangue, ou plutôt, le peuple est exsangue. La famine fait son apparition, les suicides se multiplient. Ce qui n’empêche pas l’Europe, avec ses deux pires figures, Merkel et Sarkozy, la BCE et le FMI de vouloir poursuivre le pillage sous prétexte du remboursement de la dette dont, pourtant, le peuple n’est pas le principal responsable. (Voir l’article de Patrick Mignard).
Ce que je vais écrire peut en horrifier plus d’un, je le reconnais. Si dramatique qu’est la situation du peuple grec, il s’agit pourtant, peut-être, d’une chance unique. Pourquoi ? Parce que, à mon sens, le capitalisme montre son vrai visage, sa face hideuse qui réclame qu’on le combatte sans merci. Il faut comprendre qu’en Grèce, les salaires des fonctionnaires tout comme du privé étant revus à la baisse drastique, à un niveau qui est parfaitement ridicule, ils ne permettent plus aux victimes des plans de banquiers nationaux ou internationaux, de vivre de ce pourboire humiliant. Du coup, c’est la notion même de salariat qui, cette fois, doit être remis en cause.
Durant des décennies, nous avons pensé que c’était un système idéal, les sommes perçues augmentant au rythme des luttes sociales. Nous avions acquis de nombreux avantages qui, pour le plus grand nombre, étaient satisfaisants. Il faudrait, cependant, être aveugle ou stupide pour ne pas comprendre que l’heure est arrivée où le patronat et le monde de la finance ont décidé de tout nous reprendre. Et que leur importe que les peuples s’effondrent, ils n’en ont rien à faire !
A partir de là, à quoi bon rester sous la dépendance d’un monde patronal, parfois innocent de cette situation, mais trop souvent complice, lorsqu’on ne gagne plus de quoi vivre, de quoi faire vivre sa famille ? Le salariat, dans de telles conditions, n’a plus le moindre intérêt pas plus que le moindre sens. Je ne doute pas, pour ma part, que si on m’imposait un tel diktat ne pouvant que m’entraîner très vite à la rue, à la situation tragique des SDF, je quitterais immédiatement ce salariat. Crever pour crever, autant que ce soit dans la dignité plutôt qu’en tant qu’esclave et en tant qu’homme couché !
Je ne sais si un nombre important de Grecs fera une telle analyse et un tel choix, nul ne peut décider à leur place. Mais par les décisions implacables et inacceptables de leur gouvernement non élu, donc bien loin de la démocratie, ils ont une occasion unique de rejeter le principe inique du salariat. Le plus dur, bien évidemment, est de trouver une solution de remplacement. Beaucoup de penseurs en économie se sont cassé les dents sur ce sujet. Il faudra sans doute passer par une plus grande solidarité entre citoyens, ce qui n’est pas gagné d’avance. Peut-être aussi, comme en divers endroits d’Europe, faudra-il qu’ils créent leur monnaie locale, déconnectée des systèmes comme l’euro, cette monnaie qui est la meilleure garantie de leur effondrement. Et puis, pourquoi pas, il faudra aussi inventer des petits boulots, voire réappliquer le troc pour survivre dignement.
Le système, donc, se mord la queue, parce qu’il ouvre enfin un doute sérieux sur le principe du salariat. Par ailleurs, l’un de ses moyens d’enrichissement le plus rapide, la consommation, va être de plus en plus remise en cause. Les gens n’ayant plus les moyens financiers pour y accéder, hormis pour l’absolu nécessaire, ce système-là, aussi, s’effondrera. Ce qui signifie, en clair, que la consommation est mortelle, elle aussi ! Mais, franchement, est-ce un drame ? Je ne crois pas…
Peut-être suis-je trop optimiste ou trop naïf ( ?), moi, réellement, je fais confiance au génie des peuples. Souvent, au cours de l’histoire des peuples, tout comme au cours de nos vies personnelles, nous trouvons les solutions aux problèmes les plus ardus lorsque c’est notre survie qui est en jeu. C’est comme si l’instinct de conservation éclairait soudain notre esprit…
Comme le pillage n’est pas prêt de s’arrêter, en Grèce, mais également dans tous les autres pays européens, il serait illusoire pour les victimes grecques, tout comme pour nous, de nous bercer de rêves de continuité paisible offerts par la système du salariat. Celui-ci perdra de plus en plus de sens à mesure que le monde malsain de la finance prendra plus de pouvoir à la tête de nos pays. Il n’y a rien à attendre de cette « mafia » financière ! Alors, que chauffent et s’échauffent nos cerveaux pour remplacer le système gangrené et déjà partiellement pourri…
Un serpent qui se mord la queue est un serpent mort… Songez-y…
>>> Source sur : http://blog.spyou.org/wordpress-mu/2012/02/15/le-travail-salarie-a-t-il-encore-du-sens/