Pourquoi les pirates doivent défendre le revenu de base

Pourquoi les pirates doivent défendre le revenu de base

Le revenu de base est une solution économique qui va de pair avec la philosophie de la culture libre, et constitue une solide réponse face au contexte économique. S’ils veulent être crédibles et cohérents, les pirates ont donc tout intérêt à défendre haut et fort cette proposition.

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Les pirates le savent mieux quiconque: le monde est en train de changer, et l’économie n’en sortira pas indemne. Plus que d’une « nouvelle économie », nous assistons à l’émergence d’une « deuxième économie » dont les règles semblent échapper totalement au cadre fixés par l’économie officielle.

Si le numérique pouvait vraiment créer la croissance de demain et l’emploi, depuis vingt ans que le secteur émerge, cela se serait vu. Si vraiment l’open-source était compatible avec l’économie classique, alors les monopoles de facebook, google and co ne seraient pas un problème pour nos libertés. Mais ce n’est pas le cas, dont acte.

Tandis que les économistes officiels sont incapables de sauver l’économie, et si c’était au tour des pirates de faire valoir leurs arguments ?

C’est un peu l’avis de Rick Falkvinge (fondateur du parti pirate suédois) à propos de la « Swarm economy » (l’économie de l’essaim) :

Parce que les pirates sont ceux qui ont le plus d’expérience de participation au changement de notre civilisation industrielle, les partis pirates sont dans une position unique pour prendre en main l’adaptation de nos politiques à cette nouvelle réalité.

Et comme par hasard, Falkvinge cite plus loin le revenu de base inconditionnel comme l’une des solutions (je traduis aussi le passage précédent, pour le plaisir des yeux) :

il est important que cela ne soit pas un débat gauche-droite : cela n’a rien à voir avec le socialisme ou les politiques libérales. Il s’agit plutôt d’une observation que la société industrielle qui a définit ces idéologies est en train de cesser d’exister, et que quelque chose d’autre les remplacent.

Un des modèles pour l’économie de l’essaim (« swarm economy ») pourrait être de verser un revenu de base inconditionnel à chaque citoyen. Cela résoudrait de nombreux problèmes comme celui de la loi d’Airain des salaires et encouragerait le travail non payé et pourtant fondamental pour l’industrie.

Il y a de nombreux autres arguments conduisant à la nécessité du revenu de base comme socle d’un nouveau pacte social. Citons par exemple :

  • Simplification, transparence et meilleure lisibilité du modèle fiscalo-social
  • Désamorçage du problème de la trappe à pauvreté (manque d’incitation à travailler à cause des aides existantes)
  • Subvention des productions culturelles et non-marchandes
  • Sécurisation des parcours personnels
  • Abolition de l’extrème misère
  • [pour plus de détails : clic clic clic clic clic]

Précisons d’ailleurs que l’idée fait déjà partie des “mesures compatibles” du parti pirate, et que certains équipages régionaux l’ont officiellement intégré dans leur programme officiel. Le flibustier allemand, lui aussi, a officiellement adopté cette mesure (même s’il faut relativiser cette décision, qui est loin d’avoir fait l’unanimité parmi les corsaires teutons…).

Mais au delà de tous les arguments “de bon sens », il y a peut être quelque chose de plus puissant encore dans l’idée du revenu de base : le fait que cette idée est en parfaite cohérence avec la philosophie de la culture libre. Et c’est bien pourquoi cette idée mériterait de retenir tout particulièrement l’attention des pirates.

Des creative commons à l’économie

Le fondement philosophique qui justifie l’idée que les oeuvres devraient être réutilisables et partageables, c’est entre autre que la création même de ces oeuvres repose sur d’autres créations antérieures relevant souvent du domaine public ou simplement d’influences d’autres artistes. De fait, les protections actuelles que confèrent la propriété intellectuelle constituent en réalité un droit illimité d’exploitation mercantile de toute un champ de ressources relevant du domaine public et d’autres oeuvres non rémunérées. Le système profite ainsi à une minorité tandis que la majorité des auteurs sont oubliés.

Le revenu de base part du même principe : aucun entrepreneur ne peut prétendre créer de valeur tout seul dans son coin. En vérité, tout ce qu’une entreprise ou un individu crée, il le fait en se reposant sur des productions antécédentes ou parallèles qu’il exploite souvent gratuitement.

Par exemple, toutes les entreprises qui utilisent internet aujourd’hui (c’est à dire quasi toutes) ne sont pour la plupart pas spécialement redevable de l’existence même de ce réseau. Elles exploitent ainsi des technologies et des infrastructures qui appartiennent à la collectivité sans rémunérer ceux qui ont oeuvré à les construire.

Certes, il est impossible de rémunérer à leur juste valeur les contributions de la communauté open-source, qui n’en demandent d’ailleurs pas tant. D’autant que la contribution du logiciel libre est très difficilement mesurable dans le PIB. Cette situation est donc compréhensible, mais elle n’est pas juste pour autant : du travail gratuit des richesses collectives sont abondamment exploité pour créer des richesses privées.

Le revenu de base permet de régler le problème en rémunérant par défaut chaque citoyen pour sa part de création de valeur libre ainsi que pour la part d’héritage qui lui revient de la richesse commune qui n’appartient à personne – si ce n’est un peu à tout le monde.

C’est donc une mesure qui force d’une certaine manière les citoyens à se reconnaitre mutuellement comme créateurs de valeur.  Par analogie, défendre le revenu de base, c’est (un peu) comme défendre le logiciel libre : c’est donner l’opportunité à l’autre de créer de la valeur (= accepter que quelqu’un modifie son code), et c’est reconnaitre que la contribution libre d’autrui constitue une vraie valeur économique même si l’on est incapable de la mesurer.

Hackons l’économie !

Quelles sont les mesures du parti pirate contre le chômage ? Comment les pirates comptent-ils relancer l’économie ? Quelle réforme fiscale les pirates mettraient-ils en oeuvre s’ils étaient élus ? Comment faire face à la crise de la dette ?

C’est face à ces questions que le parti pirate a aujourd’hui un problème. Ses revendications majeures concernent la propriété intellectuelle et les libertés fondamentales, qui sont des thématiques importantes et justes. Néanmoins, les pirates ne peuvent pas faire l’impasse sur l’économie. Il leur faut des réponses crédibles et cohérentes sur tous ces sujets s’ils veulent dépasser leur image de « petit groupe de sympathiques geeks qui s’amusent dans des garages ».

Evidemment, je vois le revenu de base comme une pierre de voute d’une telle démarche. Car le revenu de base n’est pas une mesure de plus, mais un levier de changement vers un nouveau projet de société. Si les pirates l’adoptaient officiellement dans leurs revendications majeures, cela leur permettrait ainsi d’écarter d’entrée de jeu toutes les mesurettes économiques et faux débats économiques sur lesquels les pirates n’ont pas grand chose à dire (mais beaucoup de temps et de crédibilité à perdre). Et d’y opposer une réponse radicale, juste, et cohérente.

N’est-ce pas d’ailleurs cela que l’on attend de nous ? Alors à l’abordage !?


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>>> Source sur : http://www.tetedequenelle.fr/2012/06/parti-pirate-revenu-de-base/